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Respect d’une immunité de juridiction : pas de restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal

Pénal - Procédure pénale
18/02/2019
Le 5 février 2019, la Cour européenne des droits de l’Homme a une nouvelle fois examiné les restrictions portées au droit d’accès du requérant à un tribunal face au privilège d’immunité de juridiction invoqué par un État.
En l’espèce, une ressortissante burundaise travaillait pour le compte de son pays auprès de l’office des Nations Unies à Genève. Contestant la non-reconduction de son contrat de travail, elle avait introduit une action pour licenciement abusif contre la République du Burundi devant les tribunaux genevois. L’État burundais avait invoqué son immunité de juridiction, immunité accueillie par les juges de Genève.

La requérante portait l’affaire devant la CEDH, se plaignant d’avoir été ainsi privée de son droit d’accès à un tribunal.

La Cour européenne devait donc décider si l’immunité de juridiction invoquée par un État et retenue par les juridictions internes constitue une violation du droit d’accès à un tribunal pour le plaignant, tel que garanti par l’article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH).

Au cas d’espèce, la cour répond par la négative, apportant plusieurs éléments à l’appui de sa décision.

Des restrictions légitimes

D’abord, elle rappelle que « l’octroi de l’immunité souveraine à un État dans une procédure civile poursuit le but légitime d’observer le droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre États grâce au respect de la souveraineté d’un autre État ». Elle précise que, « de même que le droit d’accès à un tribunal est inhérent à la garantie d’un procès équitable accordée par l’article 6 § 1, certaines restrictions à l’accès doivent être tenues pour lui être inhérentes ». Poursuivant son raisonnement, elle ajoute que « dans les cas où l’application de la règle de l’immunité juridictionnelle de l’État entrave l’exercice du droit d’accès à la justice, la Cour doit rechercher si cette limitation est fondée ».

Ces formulations sont issues de plusieurs décisions antérieures par lesquelles la cour avait eu à connaître de cas similaires (v. not. CEDH, 21 nov. 2001, req. 37112/97, F. c/ Royaume-Uni ; CEDH, 12 déc. 2002, req. 59021/00, K. et autres c/ Grèce et Allemagne ; CEDH, 23 mars 2010, req. 15869/02C. c/ Lituanie ; CEDH, 29 juin 2011, req. 34869/05, S. c/ France).

Cette affaire correspond à ce même cas de figure, puisqu’un État ayant fait usage de son immunité de juridiction à l’encontre de l’un de ses ressortissants a restreint son accès à un tribunal. Par conséquent, la cour a dû examiner les éléments afin de déterminer, conformément aux principes susvisés, si la restriction litigieuse à l’accès de la requérante au tribunal était proportionnée au but poursuivi.

Proportionnalité de la restriction

Selon la requérante, le Burundi avait renoncé à son immunité de juridiction par une clause contenue dans son contrat de travail. La cour juge, au vu des éléments, que la clause en question ne constituait pas « une clause contractuelle exprimant de manière claire et non équivoque l’intention de la République du Burundi de renoncer à son immunité de juridiction ». En effet, la condition d’un « consentement exprès » est prévue par l'article 7 § 1 b) de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens (CNUIJE), ratifiée par la Suisse le 16 avril 2010. Cette condition n’étant pas remplie, le moyen est donc rejeté.

La cour constate ensuite que les circonstances de l’espèce tombent dans le champ d’application de l’article 11 § 2 e) de la CNUIJE. Ces dispositions empêchent un État d’invoquer son immunité de juridiction « devant un tribunal d’un autre État, compétent en l’espèce, dans une procédure se rapportant à un contrat de travail entre l’État et une personne physique pour un travail accompli ou devant être accompli, en totalité ou en partie, sur le territoire de cet autre État ». Toutefois, une exception contenue dans le § 2 e) concerne les situations où « l’employé est ressortissant de l’État employeur au moment où l’action est engagée, à moins qu’il n’ait sa résidence permanente dans l’État du for », ce qui était le cas de la requérante, qui, résidant en France pendant toute la durée de son contrat, n’a jamais eu sa résidence permanente en Suisse.

Enfin, la cour observe que « la requérante ne se trouve pas dans une situation d’absence d’autre recours ». Elle en conclut que les tribunaux suisses ont correctement appliqué les principes de droit international reconnus en matière d’immunité des États et que la restriction au droit d’accès à un tribunal n’est, dans le cas d’espèce, pas disproportionnée. Dès lors, la restriction en cause ne constitue pas une violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Source : Actualités du droit