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Assurance maritime : « Le réajustement des prix est en cours »

Transport - Mer/voies navigables
19/01/2024
Attaques des rebelles houthis en mer Rouge, enlisement de la guerre en Ukraine : l’assurance maritime est à la merci des soubresauts géopolitiques qui pénalisent les chaînes d’approvisionnement et génèrent surcoûts et surprimes « risque de guerre ». Frédéric Denèfle, président de l’Union internationale des assurances maritimes (IUMI), passe en revue les menaces du début 2024, notamment l’évolution de l’assurabilité du risque de guerre en Ukraine.  
Bulletin des transports : Quelles sont vos craintes pour l’assurance maritime en 2024 ?
Frédéric Denèfle : Les réflexions vont dans le même sens : quelles sont les menaces effectives qui peuvent se produire en mer Rouge et quelles seront leurs conséquences directes sur le commerce maritime mondial, notamment en matière de coûts ? Quelle sera la mécanique pour les professionnels de l’assurance maritime ? Combien le consommateur final paiera-t-il en plus pour les marchandises acheminées sur les porte-conteneurs (1) ?

BTL : Comment évolue la menace en mer Rouge ?
F.D. : Elle est très grande et n’a pas commencé le 7 octobre 2023 lors de l’attaque d’Israël par le Hamas. Depuis des années, les rebelles houthis s’en prennent au transport maritime qui transite par la mer Rouge, sur fond de guerre civile qui les opposent, d’abord entre yéménites, et ensuite vis-à-vis de l’Arabie Saoudite. C’est un conflit à deux étages : dès ses débuts, en 2016, les Houthis n’ont pas hésité à procéder à des attaques en mer contre des navires exploités par l’Arabie Saoudite. Chaque fois qu’un navire s’y rendait, l’armateur devait payer une surprime « risque de guerre » liée à une zone sous la menace des attaques ponctuelles des Houthis, pour déstabiliser le commerce maritime mondial. Matériellement, les Houthis ont les moyens de faire prospérer cette menace même si les attaques sont sporadiques. Elles peuvent s’arrêter aussi vite qu’elles sont apparues si les belligérants réussissent à trouver une forme d’accord sur la suite du conflit entre Israël et le Hamas.

BTL : La plupart des armateurs renoncent à emprunter la mer Rouge. Est-ce une nécessité ?
F.D. : À l’évidence, un certain nombre d’armateurs ont renoncé au trafic de conteneurs en mer Rouge. Le schéma alternatif ? C’est de facto le contournement de l’Afrique du Sud pour remonter par l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest. Ces décisions sont logiques ; il suffit de se remémorer qu’après la guerre des Six Jours en 1967, le canal de Suez est resté fermé. Les armateurs ont pris l’habitude d’organiser le transport le long des côtes africaines. Matériellement et économiquement, cela représente un surcoût en temps de transport et en facture énergétique, qui peut toutefois être étalé et est relativement mesurable et administrable. Il y aura une surcharge mais compte tenu de l’effondrement du prix du transport au conteneur, cela ne devrait pas pénaliser le consommateur final.

BTL : Quelles seront les conséquences pour une voie de passage qui représente 12 % du commerce maritime mondial ?
F.D. : La Mer Rouge est un couloir de navigation très important pour le commerce mondial. On estime que 10 000 à 20 000 navires transitent par le canal de Suez chaque année et acquittent un péage à l’Égypte qui administre le canal. On risque de se retrouver avec une réduction du nombre de navires qui passent par le canal. En parallèle, nous avons aussi une navigation qui a lieu uniquement dans la mer Rouge. Certains navires entrent par le détroit de Bab-el-Manded (2). Il existe donc une mosaïque de situations. Certains armateurs vont continuer à transiter par la Mer Rouge s’ils trouvent un assureur pour le transport à la demande. D’autres travaillent eux-mêmes dans les ports de la zone. En conséquence, la nécessité du transport local se fera par d’autres moyens (par camions, par pipeline pour le transport des hydrocarbures). Quand ils peuvent le faire, les armateurs utilisent donc des réseaux alternatifs.

BTL : Au fond, anticipez-vous un renchérissement global des coûts ?
F.D. : Difficile de savoir quel en sera l’impact réel sur l’économie mondiale, en termes de coûts et de disponibilités des marchandises. À l’évidence, cela désorganise les chaînes de transport, mais il n’est pas évident que ce surenchérissement participera au processus d’inflation généralisée. La valeur du conteneur transporté s’est effondrée ; elle est passée de 10 000 USD à 2000 USD pour les lignes Asie-Europe. Le réajustement des prix est aussi en cours. Par ailleurs, nous traversons une crise des échanges inhérente à la crise économique globale, à l’inflation et à la décroissance de certaines économies. En parallèle, un certain nombre de marchandises seront chargées ou déchargées dans des ports de l’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, ce qui peut générer des effets d’aubaine.  

BTL : Au regard du conflit russo-ukrainien, le risque de guerre a-t-il évolué en matière d’assurabilité ?
F.D. : La réponse est oui. On peut identifier trois périodes-clés. Une première période, de février à juillet 2022, pendant laquelle l’Ukraine pouvait encore exporter, notamment par voie maritime via les ports du Danube. La deuxième phase correspond à un cycle de modération avec le « grain corridor initiative » qui a tout de même permis à l’Ukraine d’exporter 30 Mt de marchandises avec plus de 1000 expéditions de navires, qui ont pu sortir et entrer sans être attaqués. Enfin, depuis juillet 2023, la situation est plus anachronique et moins maîtrisée. Même si l’Ukraine envoie des messages pour rassurer ses partenaires, le contexte n’est pas comparable. Les primes d’assurance repartent à la hausse car elles reflètent cette incertitude globale.

(1) Certains experts, dont le chroniqueur économique François Lenglet, chiffrent le surcoût à 300 % depuis le début des attaques des Houthis en Mer Rouge mi-novembre 2023. (2) Le détroit de Bal-el-Manded sépare la péninsule arabique de l’Afrique.

Propos recueillis par Louis Guarino
Publié au Bulletin des transports et de la Logistique n° 3957, 22 janvier 2024
 
Source : Actualités du droit